Interview – OXBOW: The War Against Cliché (Rock’n’Roll Nigga)

11 Sep
Oxbow @ La Loco, Juin 2007

oxbow @ la loco, paris (juin 07)

The Narcotic Story, le sixième et nouvel album d’Oxbow, est un chef-d’œuvre. Mais plus magnifiquement encore, il se pose là, comme une objection éclatante au lieu-commun usurpatoire qui cadenasse le groupe à l’intérieur d’une prison opaque de violence et de dangerosité depuis Fuckfest en 1990. Oh non, The Narcotic Story est un disque qui ne se dérobe ni à la violence, ni à la dangerosité, ni à la tension, mais il n’est pas QUE cela, et plus que tous les autres il crache sa profondeur et son intensité à la face de qui veut bien les recevoir.
Quelques minutes avant sa métamorphose, c’est avec un calme olympien, un franc sourire et une incroyable suavité que le colosse d’ébène Eugene Robinson, la plume, le corps et la voix d’Oxbow, évoque la genèse de The Narcotic Story, la musique, l’écriture, la littérature, le suicide, l’ironie, le combat, la nudité, les Bee Gees, et sa vision du monde, bientôt rejoint par Niko Wenner, le guitariste et compositeur du groupe. C’était à Paris à la Loco, et Oxbow qui ouvrait pour Isis – transparents – nous a laissé par terre, en mille morceaux.

«Il y a beaucoup de gens qui méritent de mourir et qui pourtant ne meurent pas. Penser à eux me remplit de rage. Alors j’ai décidé de voir en ma propre vie un unique acte de vengeance»

Première question… ça te dérange si je fume ?
Oui! (Premier éclat de rire) Désolé, je dois vraiment préserver ma gorge.

Peux-tu me raconter la genèse de The Narcotic Story? Comment l’idée de cet album a-t-elle germé et grandi depuis An Evil Heat en 2002?
Il y a deux réponses à cette question. La première nous concerne en tant que musiciens. Nous avons essayé de faire quelque chose que nous n’avions jamais fait auparavant. Lorsqu’ils deviennent connus, certains artistes épuisent leurs forces à essayer de faire et de refaire le même album, encore et encore. Si c’est vraiment ce que tu veux atteindre, d’un point de vue philosophique, alors tu dois en donner différentes versions et l’envisager sous différentes perspectives, comme dans Rashomon, le film de Kurosawa. La deuxième réponse, c’est que cela fait quatre ans que l’on joue The Narcotic Story mais comme pour tous nos autres disques, cet album est simplement le reflet de nos vies à un moment donné, ni plus ni moins. Je crois que l’on ne peut pas documenter sa vie si on ne la vit pas… En tout cas, nous avons essayé de documenter nos vies en utilisant la musique, et en ce qui me concerne, l’écriture. Finalement, même si le groupe et moi-même utilisons différents mediums, nous avons tous fini par converger vers la même chose: The Narcotic Story, avec ce son, ces arrangements, cette violence. Ça nous a pris des années et des années de répétition, petit bout par petit bout, jusqu’à ce qu’on aboutisse à quelque chose qui avait un sens pour nous tous.

Vous avez travaillé petit bout par petit bout, mais aviez-vous une vision globale de ce à quoi vous vouliez aboutir?
De mon point de vue, non. J’écris les textes et les titres. Dans mon esprit tous les albums mis bout-à-bout forment un livre. Fuckfest, King Of The Jews, Let Me Be A Woman… tous sont des pages ou des chapitres d’un seul et même livre.

Ton livre?
Moi! (Rires)

Est-ce que les autres membres du groupe ont aussi leur propre livre?
Ils travaillent et construisent les structures musicales autour des thèmes que je leur propose. Donc il n’y a pas tellement de différence pour moi… Ou peut-être que si, ça fait une différence. Lorsque j’écris, j’espère toujours qu’une réelle connexion émotionnelle s’établira entre mes textes, les thèmes que j’aborde et le reste du groupe. Mais le fait est que deux personnes ne sont et ne seront jamais tout à fait sur la même longueur d’onde émotionnelle, n’est-ce pas? Je crois que l’essence de ce que l’on fait réside dans ce qu’ils forment un vrai noyau dur et qu’ils arrivent à construire une trame émotionnelle forte autour des textes, des thèmes et des titres que je leur donne. Et tout ça ne peut fonctionner que si tu gardes à l’esprit que tout ce qui compte, c’est de faire exactement et artistiquement ce que tu es et ce que tu veux.

Donc The Narcotic Story est le disque parfait?
Oui, c’est le disque parfait. Je défie n’importe qui de trouver un seul passage de cet album qui n’est pas réussi. Tu peux ne pas l’aimer, c’est une chose, mais pour moi, rien dans ce disque n’est là par hasard. Il n’y a rien que j’aurais fait différemment, pas une note, pas un mot, pas un morceau. Pour nous tous, c’est quelque chose de rare. Peut-être que je parle pour moi, mais oui, c’est rare d’atteindre ça. J’ai tellement écouté ce disque… et pas parce que je DEVAIS l’écouter.

C’est facile pour toi de l’écouter?
Oui. Mais tu sais, ça fait un moment que je fais de la musique et je ne suis pas capable de réécouter tout ce que j’ai fait.

Comme quoi? Fuckest ou King Of The Jews?
Non, ceux-là, je peux encore. Parcontre, j’ai fait des voix pour les Dead Kennedy’s et pour le coup je ne peux pas écouter ça sans avoir envie de rentrer sous terre ! (Rires) En revanche, j’ai dû écouter The Narcotic Story à peu près … 207 fois.

Y’a-t-il eu une part d’improvisation dans la composition de l’album?
L’improvisation a joué un rôle minime. Nous avons passé six mois à travailler sur des minuscules sections des morceaux et nous avons répété quatre ans pour ce disque. J’avais besoin d’assister aux répétitions mais il n’était pas question que je chante une seule note parce que dans ma tête je ne pense pas aux parties que je vais chanter. La manière dont je conçois les voix est très différente de la manière dont fonctionne le reste du groupe. Je connais le sens des mots. Je connais les émotions qu’ils évoquent pour moi. Mon rôle pendant les répétitions, c’est de me demander si la musique qu’ils jouent correspond à ce que je ressens et à la manière dont j’imagine vouloir exprimer ce que je ressens. C’est un processus laborieux. Ils jouent, j’écoute ; j’écoute, ils jouent. Et finalement, après quatre années, nous avons abouti à cette chose où les voix font écho aux émotions, où les émotions font écho à la musique, où la musique fait écho aux voix. Et tout se rejoint dans en cet ensemble qu’est The Narcotic Story.

Il n’y a donc pas de systématisme dans la manière dont vous assemblez les textes et la musique…
Non, mais généralement, les textes arrivent avant la musique. C’est comme ça depuis le début. Je donne le nom de l’album et les paroles à Niko sans aucune explication supplémentaire quant à la direction que les morceaux doivent prendre. Nous avions besoin de ce genre d’explications au moment des deux premiers albums mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Niko est mon guitariste, mais c’est aussi un génie de la musique… et je dirais exactement la même chose s’il n’était pas mon guitariste (rires). Il saisit parfaitement la manière dont j’écris, mais il sait aussi qui je suis, en tant que personne. Par conséquent, il comprend facilement ce que j’ai voulu exprimer avec ma voix et mes mots, mais aussi avec mon corps.

En dehors du fait qu’elle reflète ta vie et tes propres expériences, ton écriture est-elle ou a-t-elle été influencée par certains écrivains? Il m’est arrivé de penser à John Fante en lisant certains de tes textes.
J’aime beaucoup John Fante. C’est un des rares écrivains à être allé à l’encontre de la critique. Bukowski a été influencé par Fante, et je ne sais pas à quel point Fante a lui-même été influencé par Knut Hamsun. En tout cas, leur écriture est très similaire. J’aime vraiment ce qu’ils ont fait, mais ce ne sont pas des écrivains dont je me revendiquerais. Ça fait un bout de temps que j’écris. Par conséquent, je lis avec un regard d’écrivain un peu biaisé, de la même manière que Nico va observer et décortiquer le jeu des autres guitaristes en concert. Quand je lis, j’y prends évidemment et heureusement du plaisir mais c’est aussi comme si je regardais les pixels au lieu de regarder l’écran. J’adore John Fante, j’ai un penchant naturel pour sa plume, mais à un certain moment, je ne peux pas m’empêcher de me représenter la manière dont il s’y est pris. Ça ne rend pas ses livres moins agréables à lire, ça les rend moins intéressants. Ça n’est pas forcément négatif. Par exemple, il y a certains écrivains, comme Cormack McCarthy…

Blood Meridian est fascinant.
Oui, Blood Meridian est vraiment génial mais quand je lis certains de ses livres aujourd’hui, j’arrive à voir derrière le rideau, je peux voir comment il a construit son texte et ce qu’il a essayé de faire. Je ne les apprécie pas moins, mais je ne peux plus les lire comme avant. Bizarrement, Martin Amis est peut-être le seul écrivain qui arrive vraiment à me retourner. Les gens se moquent de lui alors que son écriture est pourtant terriblement sophistiquée et ses livres conceptuellement très audacieux. Il écrit en se foutant complètement de ce que les gens vont penser. Pour te donner un contre exemple, je suis un grand fan de Francis Scott Fitzgerald, mais quand tu le lis tu sens qu’il s’est posé la question de savoir si les gens allaient aimer ou non, ce qui pour moi n’est pas une bonne façon d’aborder l’écriture. Il faut écrire sans tenir compte de ceux qui te liront. Je me fous complètement que les gens aiment ce que je fais. Je dis ce que j’ai besoin de dire et tant mieux si certains l’entendent.

Peut-on considérer Franck, le personnage central de The Narcotic Story, comme ton alter-ego?
(Sans hésitation) Oui.

Dans quelle mesure son histoire avec la drogue fait-elle écho à ta propre histoire?
En fait, il est prévu que The Narcotic Story soit une pièce en trois actes: l’album, la bande-originale du film et le film. Le film racontera l’histoire d’un ami à moi dont l’histoire converge avec la mienne… à la différence qu’il a fini en asile psychiatrique alors que moi je suis là, à discuter avec toi (rires).

Il y est toujours?
Je ne crois pas. On a joué en Californie il n’y pas longtemps et il m’a appelé en me disant qu’il venait de s’échapper de l’asile. Il me racontait que quand tu arrives, ils gardent ton portefeuille pour que tu ne puisses pas t’enfuir bien loin et bien longtemps. Il avait réussi à planquer son permis de conduire et à foutre le camp. C’est un génie. Même sa folie est structurée. Et c’est de notre histoire dont je parle dans The Narcotic Story.

The Narcotic Story sera donc un triptyque, dont l’une des parties sera un film. Qui va le réaliser? Toi?
Non je n’espère pas ! On en a discuté avec Gibbs Chapman qui a produit An Evil Heat. Il est aussi réalisateur. Il a réalisé une paire de petits films indépendants. On en a aussi parlé à Josh Graham (Ndlr: graphiste attitré de Neurosis, également musicien dans Red Sparowes et Battle Of Mice) qui a fait des vidéos pour Dillinger Escape Plan, Bee & Flower, Isis, mais il est maintenant occupé avec ses propres groupes. Il faut qu’on voie s’il est toujours intéressé. Si jamais nos pistes n’aboutissent pas – on en discutait hier encore – on peut le diriger nous-mêmes. Nous avons un autre ami, Massimo… il est sur ce label… (Il cherche) Le label de ce type qui fait KTL avec Stephen O’Malley… Peter…

Peter Rehberg, le label Mego?
Oui voilà, merci, bravo! (Rires). Donc Massimo qui a sorti quelques disques sur Mego pourra peut-être nous donner un coup de main pour le film. De toute façon, j’imagine que The Narcotic Story ne sera pas distribué dans le même réseau de salles que Shrek 3, donc il n’y a aucune raison pour qu’on ne le fasse pas par nos propres moyens. (Rires)

Est-ce que la trame du film sera vraiment narrative?
Oui. Ça sera un film, pas une vidéo musicale, pas un documentaire. Je ne sais pas si tu as ouvert le livret de l’album mais les photos à l’intérieur sont inspirées du film. On aura tous un petit rôle dedans. Je pense que ça va être amusant à faire. Quoique, il y a sûrement des choses beaucoup plus amusantes à faire. (Rires)

Et la bande-originale?
Elle viendra après le film bien sûr.

Eugene Robinson

Eugene S. Robinson (Oxbow) @ La Loco, Paris (juin 07)

Donc l’album The Narcotic Story, c’est quoi, une sorte de synopsis?
Oui, je crois que c’est exactement comme ça qu’il faut le voir. Bien sûr, tout ce dont je te parle est encore à l’état de fantasme pour moi. Personne n’a encore décidé de la forme exacte que cela prendra et personne ne m’a encore dit «je vais te filer du fric pour le faire». Pour l’instant, ça n’est encore qu’une idée dans ma tête qui prendra forme un jour. Nous avons sorti nos deux premiers disques nous-mêmes et peu de temps après, des gens ont voulu les rééditer. Ça se passera sûrement de la même manière. C’est difficile de parler de quelque chose qui n’existe pas que ça soit un film ou un disque. La meilleure façon d’en parler, c’est de te le montrer ou de te le faire écouter.

C’est sûrement un très mauvais réflexe de journaliste mais certains passages de l’album m’ont parfois fait penser à d’autres musiciens que j’aime, comme Pere Ubu, Enablers, les Bad Seeds, même Beefheart. Ça te paraît insensé?
Ça ne me choque pas dans la mesure où depuis les débuts d’Oxbow on nous a toujours comparés à tout un tas de groupes, Jesus Lizard, les Butthole Surfers… Les gens ont besoin de points de comparaison et j’aime beaucoup les groupes que tu as cités, mais ce qui est certain, c’est que nous n’essayons pas d’être quelqu’un d’autre.

Exactement comme ce que tu disais à propos de ton rapport aux autres écrivains.
Tout à fait. Tu parlais de Captain Beefheart… J’ai beaucoup écouté Trout Mask Replica mais je suis incapable de nommer un seul des morceaux de l’album.

Rassure-toi, je crois que personne n’en est capable.
(Rires) C’est vrai. Quoi qu’il en soit, ça ne me dérange vraiment pas d’être comparé à ça. Seulement, nos centres d’intérêt sont suffisamment vastes pour qu’on ne puisse pas imputer la responsabilité de ce qu’on fait à qui que ce soit en particulier, si ce n’est à nous-mêmes. Mais par exemple si tu écoutes Robbie Williams… (rire pincé de la rédaction) Hey, j’aime bien Robbie Williams! En tout cas, quand tu écoutes ce qu’il fait, tu peux clairement identifier d’où vient sa musique.

«Je ne monte pas sur scène tous les soirs pour sortir une blague. Je suis beaucoup plus excité par le fait que notre musique reflète ce que l’on ressent. Je ne suis pas là pour faire le show. Je ne suis pas là pour te divertir»

Ça me fait penser que j’ai lu quelque part que tu adorais « Stayin’ Alive » des Bee Gees.
(Surpris) Oui, c’est vrai ! Tu as lu l’article de Dusted? (Rires). Tu sais, je suis de Brooklyn et pour moi, ce morceau, c’est comme l’hymne national.

Tu disais que tu aimais réellement ce morceau, sincèrement.
Oui, je l’aime sans aucune ironie, très sérieusement. C’est vraiment un super morceau et les paroles sont excellentes. S’ils ne l’avaient pas écrit avec la sincérité la plus totale, il serait impossible de ne pas se moquer d’eux. Mais ils l’ont fait sincèrement, donc je ne peux pas rire de ça.

Tu ne crois pas que le second degré peut parfois fonctionner en musique? Je pense aux Residents. Il y a deux niveaux d’écoute. Un extrêmement sérieux, l’autre totalement absurde, et pourtant ça marche.
J’aime bien l’absurdité chez les écrivains, comme chez Ionesco ou Luigi Pirandello. En musique cependant, je ne crois pas que ça fonctionne parce qu’à force d’écoutes, tu perds le sens de l’absurde. C’est comme l’humour de répétition. Une blague va marcher une fois, deux fois, mais à la troisième, tu cesses de rire. J’ai vu un de mes vieux groupes préférés hier soir en Suisse, Nomeansno. Musicalement, ces types sont vraiment bons. Le problème, c’est leur ironie, la post-ironie, l’ironie post-moderne, l’ironie néo-post-moderne… Ça ne correspond pas à ma façon de voir les choses. J’ai un certain sens de l’humour, comme tout le monde mais je ne monte pas sur scène tous les soirs pour sortir une blague. Je suis beaucoup plus excité par le fait que notre musique reflète ce que l’on ressent. Je ne suis pas là pour faire le show. Je ne suis pas là pour te divertir.

D’ailleurs que représente la nudité pour toi, quand tu es sur scène ? Tu penses que ça permet au public et à toi-même de mieux ressentir l’intensité de la musique et des textes?
Bien. (Pause) J’ai une question pour toi. Pourquoi tu retires tes fringues pour baiser?

Hum… ok. (Rires)
Ne me dis pas que tu restes habillée (Rires)

Joker.
Plus sérieusement, ce que je veux dire, c’est que quand tu baises, personne ne t’oblige à retirer tes vêtements. Sur scène, c’est exactement la même chose.

La musique pour toi, c’est un truc sexuel?
Je dirais plutôt sensuel.

Ce que j’entends par cette question c’est… Comment dire… Manger, c’est aussi une expérience sensuelle, et pourtant quand tu manges, tu te mets rarement à poil.
Oui… Sauf si je suis dans un endroit vraiment cool. Alors là c’est sûr, je bouffe à poil ! (Rire général). Pour en revenir à la musique, c’est une expérience sensuelle. Ce que je vois, ce que j’entends, sentir l’air sur ma peau, c’est sensuel.

Au moment où tu te déshabilles sur scène, tu es conscient d’être en train de le faire?
Non. D’ailleurs c’est très étrange. C’est une expérience de libération pendant laquelle l’esprit se retrouve complètement déconnecté du corps. Je suis sûr qu’il y a des dizaines de performers qui ressentent exactement ce genre de choses. Quand tu es sur scène, ton corps devient insensible. Les émotions que tu absorbes se nichent si profondément en toi que quand tu atteints un certain stade, il n’y a plus de place pour les stimulations extérieures.

Je voudrais revenir sur l’album. Qui a composé et arrangé toutes les parties de cordes et de bois?
C’est Niko.

Ça a du être un travail colossal.
Traumatisant tu veux dire. Il en parlerait mieux que moi, je suis un ignorant musicalement parlant.

Cette patte orchestrale, c’est quelque chose que vous aviez en tête depuis le début de l’album?
Oui. Niko t’en parlera.

Sur l’album, tu as cette façon très intimiste de chanter. Comme si tu voulais raconter cette histoire en parlant à l’oreille.
C’est cool que tu dises ça. Vraiment cool. La plupart de producteurs ont toujours la même façon de traiter la voix. Elle nage au milieu du reste ce qui fait qu’il faut la pousser, hurler dans le micro pour la faire ressortir du mix. Pour The Narcotic Story, la première chose que j’ai dit à Joe Chicarelli qui a produit l’album, c’est : Je ne veux pas de ça. Ce que je veux vraiment, c’est qu’on ait l’impression que je me tiens là, juste à côté de toi, tout près. Il faut que tu puisses ressentir ce que je ressens. On avait commencé à entrevoir cette manière d’aborder la voix sur An Evil Heat et on a voulu continuer de manière plus intimiste encore. On ne voulait surtout pas tomber dans le truc facile piano/voix. On voulait y parvenir en conservant la force instrumentale et la fureur du bruit.

Tu as dit que tu avais commencé à jouer parce que tu comptais te suicider et que la musique était le seul moyen d’expliquer au monde pourquoi. Est-ce qu’aujourd’hui tu es toujours motivé par ce même sentiment d’autodestruction?
Je crois que mes tendances suicidaires ont disparue avec Let Me Be A Woman. Ce disque a été libérateur pour moi.

C’est-à-dire?
Je crois qu’à ce moment-là, j’ai cessé de ‘devenir’ quelqu’un. J’étais quelqu’un. Il y a des gens qui réagissent très mal au fait d’être quelqu’un et de ne plus simplement le devenir mais dans mon cas, j’ai réalisé que j’aimais la personne que j’étais devenu. Je ne veux pas dire que je suis nécessairement un homme bon, mais j’aime le type qui est là. Et à ce moment-là, toutes les idées de suicide s’effacent. J’ai parlé de ça à un ami à moi et il s’est mis à m’imiter en disant: «Je suis beaucoup trop bien pour me suicider!» C’est devenu une blague entre nous mais il y a du vrai là-dedans! Quelque part, il a raison, je suis trop bien pour me suicider. Mais le plus important c’est qu’il y a beaucoup de gens qui méritent de mourir et qui pourtant ne meurent pas. Penser à eux me remplit de rage. Alors j’ai décidé de voir en ma propre vie un unique acte de vengeance (rires).

«Etant donné ma vision du monde, il était clair que j’aurais à me battre et à me défendre un jour ou l’autre. Alors autant le faire du mieux possible. Regarde la tête que j’ai»

Il y a un lien entre cette rage et ton obsession pour le combat, la baston et ton livre sur le sujet? (Eugene s’apprête à sorti un livre qui s’intitulera Fight: Or Everything You Ever Wanted to Know About Ass-kicking but Were Afraid You’d Get Your Ass Kicked for Asking)
Oui, le livre devrait sortir bientôt. Je suppose que le free-fighting est toujours illégal ici en France?

Peut-être, je n’en sais rien.
De toute façon, les gens survivent à ça. Pour revenir à ta question, ça me fait penser à ce type dans Dinosaur Jr, qui est à fond dans le golf. Il est obsédé par le golf (Ndlr: voir le clip de «Feel The Pain»). Pour moi, c’est le free-fighting qui mélange plusieurs techniques et plusieurs arts-martiaux, que des choses pas musicales. Je pratique dans un club à San Francisco. Je me suis battu contre des types de Hong-Kong, d’Australie. Je crois que ce qui me motive pour apprendre à me battre, et c’est la différence avec le golf, c’est qu’étant donné ma vision du monde, il était clair que j’aurais à me battre et à me défendre un jour ou l’autre. Alors autant le faire du mieux possible. Regarde la tête que j’ai. En tout cas, la musique comme le combat sont des choses qui te permettent d’embrasser la totalité du monde. J’ai interviewé Anton LaVey de L’Eglise de Satan pour Birth Of Tragedy il y a quelques années (Ndlr: l’interview est publiée en intégralité sur www.churchofsatan.com/Pages/BOT.html). Il a dit cette chose très intéressante, à moins qu’il l’ait volée à quelqu’un : «La popularité à tué plus de gens que tout le reste ». Pour pousser plus loin, je dirais que beaucoup de gens sont conditionnés par la peur, l’insécurité et toute forme d’incertitude et je refuse d’en faire partie. J’ai construit toute ma vie sur le dépassement de ça et je refuse de prendre n’importe quelle décision qui serait motivée par la peur de l’autre.

Je vois ce que tu veux dire. C’est la raison principale pour laquelle notre nouveau président a été élu.
Oui, on est tous sujets à la peur. Il y a certaines choses dont j’ai peur, comme devoir prendre l’avion (rires). En fait ça me rend terriblement anxieux mais ça n’est pas moi qui fais atterrir l’engin. Et quelque part, cette anxiété-là est rassurante, j’en suis même fier. C’est comme quand tu écoutes de la musique que tu ne comprends pas. Ce que je ressens alors inclut aussi un grand sentiment de joie. Face à l’incompréhension, la plupart des gens n’entendent que le côté sombre alors que pour moi, l’anxiété dans la musique a quelque chose de lumineux. Et cette anxiété est productive, plus particulièrement en live. Je crois que je ne réponds pas à la peur et à l’anxiété de la même façon que la plupart des gens. Quand je me bats, je fais ce que je peux personnellement pour m’opposer aux gens qui votent pour un Bush ou pour un Le Pen. D’ailleurs je me dis que tant qu’à en arriver là, ces types devraient assumer pleinement leur despotisme: foutre massivement les gens en taule et exécuter tout le monde (rires). Enfin c’est purement théorique, je dois quand même vivre aux Etats-Unis. Je ne DOIS pas, mais dans les faits, c’est quand même ici que je vis.

C’est le cas ici aussi. Beaucoup de gens disaient qu’ils partiraient si Sarkozy était élu. Finalement, tout le monde est resté.
Je connais une seule personne qui a quitté les Etats-Unis quand Bush est devenu président : mon amie Lydia Lunch. Elle m’a appelé pour me dire «je pars». C’est la seule qui l’a fait. Je trouve ça bien.

Pour finir, j’aimerais que tu me parles de Love’s Holiday, votre duo acoustique avec Niko. Qu’est-ce que ça vous apporte de plus ou de différent que la formule électrique d’Oxbow ?
Oh, il est ici. Tu devrais lui poser la question. (Niko passe la porte et prend part à la conversation).
Niko : La première chose, c’est que les morceaux d’Oxbow sont d’abord conçus en version acoustique avant d’être adaptés pour tout le groupe. Par conséquent, jouer les morceaux d’Oxbow avec Love’s Holiday, c’est un peu revenir à leur essence. Ce qui est intéressant, c’est que les morceaux acoustiques requièrent vraiment un niveau différent et plus de finesse. En ce qui concerne les nouveaux morceaux spécialement composés pour Love’s Holiday, on se concentre sur des choses un peu différentes. Il faut encore plus de finesse !

Niko Wenner

Niko Wenner (Oxbow) @ La Loco, Paris (Juin 07)

J’ai aussi entendu parler du Love’s Holiday Orchestra…
Eugene : Merde, tu as fait des recherches! (Rires)

C’est mon job.
Eugene : Oui, mais tellement de gens à qui je parle ne font pas leur job. C’est cool.
Niko : Pour Love’s Holiday Orchestra, nous allons faire appel à un orchestre de chambre.

C’est toi qui va écrire toutes les parties ?
Niko : Oui, c’est déjà ce que je fais pour le groupe. Comme il y aura forcément moins de distorsion, et comme nous allons devoir tout repenser pour les cordes, on va essayer de compliquer un peu les accords et la partition. Sur scène, quand nous jouons en formule acoustique, nous pouvons immédiatement atteindre une grande palette d’intensité, du très fort au très calme. C’est fluide et j’aimerais que ça se passe aussi comme ça avec l’orchestre de chambre. La première du Love’s Holiday Orchestra aura lieu à Birmingham le 15 juillet.

Qui va diriger l’orchestre?
Niko : Depuis l’époque romantique, les orchestres de chambre sont dirigés par les musiciens eux-mêmes.

Aïe, j’aurais dû m’en souvenir. Certaines des parties pour orchestre m’évoquaient Olivier Messiaen (compositeur contemporain français, organiste et catholique convaincu né au début du siècle dernier considéré tour à tour comme iconoclaste puis comme réactionnaire à la fin de sa vie)
Niko : Vraiment? J’aime énormément Olivier Messiaen. Mais je n’ai pas la prétention d’être aussi bon!

Vous allez venir en France avec le Love’s Holiday Orchestra?
Niko : Pour l’instant non, malheureusement. C’est compliqué de voyager avec un effectif comme celui-là.
Eugene : Comme je te le disais toute à l’heure à propos du film et à propos de nos disques, c’est encore un fantasme pour l’instant. Mais j’aime penser que certains fantasmes peuvent devenir bien réels. Le point positif avec Love’s Holiday, c’est qu’on va enfin savoir si cette formule fonctionne vraiment et on va pouvoir expérimenter des sensations différentes. Mais je m’attends quand même à ce que les gens saturent, raz-le-bol d’Oxbow.

Tu crois, vraiment ?
Eugene : Oui ! Tu comprendras mieux après le concert! (Rires)
Niko : Oxbow a toujours fonctionné dans les extrêmes : trop, trop fort, trop bruitiste, trop dangereux. Alors c’est logique que ça devienne aussi trop calme, et même trop ‘joli’. Dans Love’s Holiday, ces contrastes seront mieux intégrés. Ça sera plus facile de balayer l’ensemble du spectre.

Vous croyez que les gens attendent de vous une certaine violence?
Eugene : Je crois surtout qu’en acoustique, les gens ont moins peur parce qu’on est assis et bien sapés. Quand on arrive sur scène en acoustique, des types dans le public se mettent à gueuler (en prenant un accent cockney bien marqué) «Oh, that’s a handsome tie you have on!» (Ndlr : Oh, c’est une chouette cravate que tu as là!). Sauf qu’après 30 secondes de concert, ils sont tous calmés, silencieux et attentifs. (Rires)
Niko : Le point commun entre les deux formules, c’est la sérosité du but.

Vous pensez que le public de Love’s Holiday sera le même que celui d’Oxbow?
Niko : The Narcotic Story n’est déjà plus vraiment de la Noise dégénérée. Ça nous plaît et je pense que les gens qui aiment le nouvel album aimeront aussi Love’s Holiday.
Eugene : On a déjà testé la formule à San Francisco avec Scott Kelly de Neurosis et son propre projet acoustique. Je ne sais pas si ce que le public a entendu était en accord avec ce qu’on voulait faire passer, mais en tout cas, il semblait ouvert à ça. Nous sommes prêts à jouer, et si on n’était pas persuadés qu’il y a des gens prêts à nous entendre, alors on resterait à la maison.

OXBOW – The Narcotic Story (Hydra Head)
www.theoxbow.com / www.hydrahead.com
Francoise Massacre
Publié dans: NOISE MAG #2 (Septembre 2007)
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Une Réponse to “Interview – OXBOW: The War Against Cliché (Rock’n’Roll Nigga)”

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  1. The Narcotic Story | Laure Limongi - 27 janvier 2013

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