(Byelobog Productions, 2010)
PAGAN FEST
On les voit d’ici les hordes noires, attendant, pantelantes, le grand retour discographique de Varg Vikernes, l’homme aux 23 coups de couteau et autant d’idéologies frelatées (satanisme, nazisme, pangermanisme, odinisme, paganisme, ufoisme, connerisme), craint par les uns et adulé par les autres, légende d’entre les légendes. On les imagine ces bataillons transis et nostalgiques, la salive au coin des lèvres, guettant Belus comme le Saint Graal, avec une avidité vorace, dans l’espoir que ce disque soit celui qui, peut-être, fera replonger notre monde consumériste dans l’anti-faste marécageux et chaotique qui avait accompagné la naissance de la deuxième vague du black metal en Norvège au début des années 90. Pauvres foules déguenillées, comme je vous plains ! Onze années de silence-prison sont passées depuis Hliðskjálf, onze années de réflexion, 132 mois à saliver, 3960 jours à n’en plus pouvoir et tout ce que Varg vous donne en pâture aujourd’hui, c’est ce disque de carnaval, d’Halloween, ce Filosofem du pauvre ! Ça la fout mal, car de fait, Belus marque la fin d’un règne. C’en serait presque touchant. Mais allons mes amis ! Ne pleurez plus, séchez vos larmes de suie, mieux vaut en rire, n’est-ce pas ? Surtout que, je vous le dis, il y a largement matière à en rire. Mais il vous faudra d’abord dépasser les effroyables cliquetis de l’introduction, largement aussi noirs qu’une coquille de moule puis, parvenir à percer l’ennui mortel des deux premiers titres (« Belus Doed » et surtout « Glemselens Elv » soit « Le Fleuve de l’oubli », qui porte rudement bien son nom : douze minutes de vide, à oublier), avec leur rythmique lente, répétitive, carrée, famélique et conne comme la lune, celle dont on louait pourtant les vertus hypnotiques sur un disque de la trempe de Filosofem. Il faudra encore accepter l’idée que l’organe de Varg a beaucoup perdu de sa superbe. Mais où sont passés les cris qui déchiraient la nuit ? Enfin, il faudra pouvoir résister à l’émotion qui nous submerge, à l’intériorité secrète de l’homme mûr et à l’insoutenable mélancolie qui tournicote comme une brise légère autour des guitares aux motifs païens. Passés ces obstacles mes amis, je vous l’assure, la fête pourra enfin commencer avec le premier titre d’anthologie : « Kaimadalthas Nedstigning », un morceau qu’on n’oublie pas, un refrain qui fait surgir des images mentales absolument insoupçonnées, comme un cours d’aérobic dans la rosée matinale perlant sur la prairie du parc du Puy du Fou, un beat quasiment technoïde et un parlé/chanté qui nous fait bouger les mains en cadence : « En haut ! En bas ! À droite ! À gauche ! ». Parions que même Enslaved n’aurait pas osé. Ah, je vois poindre un sourire, un rire même, sur vos faciès livides et émaciés. C’est qu’on commence à s’amuser. La grand-messe païenne bat pas son plein mais attendez encore « Sverddans » (« La Danse des Épées ») si vous voulez atteindre le grand climax, l’ultime frisson Burzumesque. Le morceau démarre assez convenablement sur un black thrash de bonne facture, cru, guerrier et assez proche du Darkthrone des années 2000. Et soudain, tout bascule, on est pris de court, un cowboy dancer nous prend par le bras, on entre dans la ronde. Polka ? Country ? On tourne, on tourne encore et tous les acadiens et toutes les acadiennes vont sauter, vont danser sur le violon ! Mes amis, il faut l’entendre pour le croire. C’est magique, bucolique, complètement authentique et il ne fait aucun doute qu’à eux seuls, ces deux titres balayeront d’un revers de manche votre première déception. Il y a quelques semaines, Varg devançait modestement son auditoire en écrivant, à propos de Belus : « If I can make you dream when listening to this album, I believe I have done a good job ». Ce à quoi nous ne pouvons que lui répondre : Beau travail, l’artiste!
3/10
Francoise Massacre
Publié dans: NOISE MAG #15 (avril/mai 2010)
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