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OXBOW – Fuckfest (réédition)

14 Mar

(1990, CFY/PAthological / 2009, Hydrahead)

En pleine Oxbowmania, la récente exhumation de Fuckfest par Hydra Head tombe à point nommé, notamment pour ceux qui n’avaient pas eu la chance de pouvoir se procurer l’édition très limitée du double-CD vendu sur la tournée 2008, Fuckfest/12 Galaxies. Paru originellement en 1989 sur CFY (le propre label d’Eugene Robinson) puis en 90 sur Pathological (celui de Kevin Martin : God, The Bug, Techno Animal), ce point de départ discographique constitue de fait un excellent témoignage du chemin parcouru par le groupe. Mais plus encore, cette réédition (remasterisée par John Golden pour l’occasion) devrait pouvoir servir de ré-introduction pour tous ceux qui ont découvert Oxbow par le prisme tardif de The Narcotic Story, alors que le groupe trainait déjà derrière lui presque vingt ans d’histoire au service de « l’Art pour l’Art » – pour reprendre les mots de Robinson. Vingt ans, ça parait difficile à croire, mais après tout, la sagesse populaire ne dit-elle pas que les pots fêlés sont ceux qui durent le plus ? On pourrait rajouter qu’Oxbow a produit l’une des œuvres les plus personnelles et singulières des deux dernières décennies, et que cette personnalité ne s’est jamais effritée sous l’effet du temps.
A l’époque de l’enregistrement de Fuckfest, le personnel ne s’est pas encore stabilisé autour de l’inébranlable quatuor que l’on connait aujourd’hui. Le bassiste Dan « fretless » Adams, n’est pas encore de la partie et Greg Davis se partage la batterie par intermittence avec un certain Tom Dobrov. Manifestement, le groupe ne semble pas non plus totalement affranchi de l’influence du hardcore américain, de Black Flag ou des Bad Brains (rappelons que Robinson a passé quatre ans, de 82 à 86, au sein de Whipping Boy), comme en attestent les tumultes de « Curse », le morceau d’ouverture, avec ses power-chords et les rugissements bestiaux de Robinson (pour le coup au moins aussi hardrock que hardcore). Et pourtant, ce 6-titres contient déjà tout le ferment des œuvres à venir : la syntaxe si particulière du guitariste Niko Wenner, entre clairs-obscurs acoustiques (« The Valley »), riffage massif, dissonances tourbillonnantes et fureur électrique et bruitiste ; la poésie d’écorché vif de Robinson tendue par une énergie noire qui tient à la fois de l’introspection et d’une forme de démence cathartique ; enfin, cette impression persistante de fin des temps. Tout est déjà là, et il ne reste plus qu’à attendre l’arrivée de Dan Adams sur King Of The Jews pour atteindre définitivement l’épaisseur et la cohésion qui manquent encore un peu à ce Fuckfest, même si les six minutes de « Yoke » – walking-bass rampant façon jazz dépravé illuminé de guitares hurlantes – restent certainement l’un des moments les plus intenses de toute la discographie d’Oxbow.
Enfin, pour mieux saisir la force chaotique, non seulement de ce disque, mais aussi du groupe, il faut également rappeler que Fuckfest avait d’abord été conçu et pensé comme la chronique d’un suicide annoncé, celui d’Eugène Robinson (« I’ll never get out of this life alive »), qui fut avorté après le petit succès d’estime du disque à sa sortie. Parce qu’« un mec qui se bat est toujours plus intéressant qu’un mec qui sombre » et qu’un bon Eugène n’est pas un Eugène mort.

Francoise Massacre
Publié dans: NOISE MAG #14 (janvier/février 2010)
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