Interview – BLUT AUS NORD : Brise-Glace

24 Avr

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A peine un an après le rampant, glacial et jusqu’au-boutiste MoRT, les obscurs laborantins du black metal Blut Aus Nord remettent le couvert avec Odinist : The Destruction Of Reason By Illumination, un album de transition qui, tout en se plaçant dans le prolongement direct des expérimentations et des dissonances du précédent, se veut toutefois moins cérébral, plus épique et beaucoup plus intuitif. Comme si le moment était venu pour BAN d’entreprendre la reconstruction du pont qui le relie à ses origines : Bathory, Emperor et Voivod en tête. Entretien avec Vindsval, cortex de Blut et pilote du label Appease Me.

Avec MoRT, tu disais être allé « au bout du black metal ». Où va-t-on lorsqu’on est arrivé au bout ?
On cherche un autre bout, une autre voie, d’autres atmosphères, d’autres ambiances, un autre son.

Qu’en est-il d’Odinist ? Où le places-tu sur la carte du black metal ? Pas comme un retour en arrière j’imagine ?
Comme une forme d’équilibre nécessaire à la bonne continuation des événements, depuis quelques années nous nous enfonçons dans des sphères extrêmement macabres et il nous a semblé évident après l’enregistrement de MoRT qu’il ne fallait pas trop jouer avec cet univers qui a tendance à te dévorer sournoisement. Mentalement, tu chutes avec ta musique. Quand celle-ci est ta principale activité tu manques cruellement de recul et tu glisses lentement. Tout fonctionne sur l’équilibre et Blut Aus Nord n’échappe pas à cette règle. Ainsi, Odinist est une remise à niveau qui va nous emmener vers d’autres territoires. Il nous a permis de retrouver le plaisir de composer et jouer de véritables riffs, de travailler des structures de morceaux plus solides, de retrouver de la puissance et une certaine forme d’efficacité. Tout cela en conservant l’aspect froidement mécanique et dissonant (dans une moindre mesure cette fois-ci) de nos derniers albums. Odinist est peut-être moins sombre mais il est plus menaçant, ne renferme pas beaucoup de vie et est certainement notre album le moins organique. Certaines personnes ont évoqué une version extrême de Voivod et je trouve cette approche assez pertinente.

C’est comme si le titre suggérait un retour au « nordisme » de vos débuts (Memoria Vetusta, Ultima Thulee) ou du moins, comme une sorte de trait d’union inévitable (de référence commune) avec les pères du black metal, Bathory, Emperor, Burzum, etc. ?
Le titre et son sous-titre suggèrent à la fois un retour au nordisme des débuts et soulignent une certaine évolution dans la manière totalement universelle de l’aborder, ainsi que tout ce qui l’entoure. Une manière d’avancer en n’oubliant jamais des racines qui nous ont justement permis d’évoluer. Bathory par exemple a été une influence énorme et Quorthon un formidable initiateur, tous les albums que nous sortirons seront marqués de façon plus ou moins profonde et visible par cette origine. C’est peut-être plus évident sur Odinist que sur MoRT, entre autres parce que Blut Aus Nord doit se ressourcer, mais ce lien a toujours été présent et le sera toujours.

Quel est votre rapport à l’Asatrù (Ndlr : ou odinisme, ancienne religion polythéiste basée sur la mythologie nordique et adaptée à l’époque moderne dans les années 60…) et à la mythologie nordique ?
Nous en avons une vision très universelle, il ne s’agit que de clés permettant d’atteindre d’autres niveaux de conscience où le mythe et les croyances, la terre et le peuple, la culture et l’histoire n’ont plus aucune importance… La destruction de la raison par l’illumination.

Sur MoRT, il y avait, en filigrane, la volonté de traduire avec des sons les problématiques de la perception du réel, du Chaos, de l’Incertain. Quel a été votre cheminement intérieur pour la conception d’Odinist ?
Les choses ont été beaucoup plus instinctives cette fois-ci, comme je te l’ai dit nous avons ressenti un besoin d’équilibre, presque vital. Pour la première fois depuis longtemps nous avons eu besoin de composer par passion du riff. La première des motivations a été la musique pour elle-même, nous avons presque fonctionné comme un groupe de rock, toujours à la recherche d’une certaine puissance. Odinist a été très agréable à composer, nous étions étrangement libérés, livrés à notre seule intuition alors que MoRT avait été une véritable épreuve.

Le sous-titre de l’album (The Destruction Of Reason By Illumination) laisse penser que le thème de la Folie vous a en partie servi de trame de fond…
Pas la folie car la raison n’est qu’une illusion mais plutôt la conscience, pleine ou totale. Cette conscience est le cœur même de l’album, ancré dans l’instant.

Odinist est donc le double de MoRT, ou disons son pendant puisqu’au départ, vous aviez l’intention de les intégrer à un double album. Quel est le lien/quelles sont les correspondances entre les deux albums ?
Nous devions effectivement intégrer un autre album mais il ne s’agissait pas de celui-là (nous avons une quantité assez conséquente de matériel composé et même enregistré). Comme je te l’ai dit Odinist est une réaction, une conséquence, un équilibre nécessaire.

Le fait qu’Odinist soit plus intelligible, plus épique et structurellement moins complexe que son prédécesseur (même si on reconnaît immédiatement la patte, les dissonances et l’idiome Blutiens) est donc un acte délibéré…
Odinist est définitivement un album de riffs ! Nous voulions un album plus direct, moins abstrait, plus puissant. Le résultat est plus efficace que tout ce que nous avons pu enregistrer auparavant, nous avons particulièrement soigné les transitions pour éviter les cassures trop brutales et conserver cette espèce de dynamique hypnotique. Tu sais, nous sommes constamment tiraillés par des envies épiques, métalliques, mélodiques et d’autres beaucoup plus morbides, atonales et macabres que nous avons (finalement partiellement) assouvies sur nos trois précédents albums. Je sais désormais que MoRT n’était pas si extrême et que d’autres voies bien pires commencent à s’entrouvrir dans mon esprit mais avant de replonger dans ces marécages sonores il nous faut assouvir d’autres envies et Odinist est un premier pas vers d’autres extrémités plus belles et mélodiques.

C’est presque officiel, vous travaillez sur le second volet de Memoria Vetusta : Memoria Vetusta II – Dialogue With The Stars. Pourquoi vouloir donner aujourd’hui une suite à cet album, après plus d’une décennie ? Est-ce qu’il sera une suite moderne du premier, avec les matériaux et le langage musical que vous avez développés depuis, ou au contraire, comptez-vous opérer une dé-évolution, revenir à la crudité du son Memoria Vetusta de 1996 ?
Nous avons pensé à cette suite durant toute cette décennie, nous avons même souvent commencé à travailler dessus mais d’autres envies plus sombres nous parasitaient régulièrement. Nous avons donc composé puis enregistré The Work Which Transforms God et avant même que nous ayons pu repenser sérieusement à Dialogue With The Stars nous avons eu besoin d’explorer le pire de The Work et nous avons entamé le travail sur MoRT. Ce dernier a engendré Odinist sur lequel nous avons pu retrouver le plaisir de composer de longs riffs plus épiques, plus mélodiques. Cette fois-ci c’est le bon moment pour se consacrer enfin à cet album, nous sommes impatients de nous plonger dans ce vieux rêve. Nous n’allons certainement pas enregistrer une copie du premier volet mais effectivement une suite moderne et cohérente, les quelques plans que nous avons déjà commencés à développer sont complexes, très riches et techniques. Nous voulons intégrer les éléments qui ont fait la force épique de Fathers Of The Icy Ages, des voix claires, des solos, de longs riffs majestueux mais également beaucoup d’autres univers allant de Nocturnus à Pink Floyd.

J’ai également lu que vous alliez sortir un disque intitulé What Once Was. Tu peux m’en parler ?
C’est un vieux projet, sortir une série d’albums proposant un black metal extrêmement pur sur lequel l’évolution n’aura eu aucune prise. Nous ne savons pas encore comment sortir les différents volumes, en éditions limitées, en vinyl, en libre téléchargement sur notre site ou de façon totalement conventionnelle même si cette perspective ne nous enchante pas. Nous avons envie que cette autre face de Blut Aus Nord demeure obscure et se diffuse différemment. Surveillez notre site, on ne sait jamais…

Est-ce toi ou Candlelight (qui continue en revanche à sortir les disques de BAN) qui a rompu le deal de distribution avec ton label Appease Me ? Que s’est-il passé ? Par quels circuits vas-tu désormais passer pour la distribution ?
En fait cela n’a rien changé au niveau de la distribution, les prods Appease Me seront encore distribuées par Plastic Head. En revanche nous ne travaillons plus ensemble sur la production elle-même, Candlelight injectait de l’argent ce qui me facilitait la tâche mais allait m’obliger à accepter le fait qu’ils approuvent chaque nouvelle signature. Je tiens à rester seul décisionnaire sur le plan artistique et eux ne voulaient plus mettre de fric sans pouvoir donner leur avis, ce que je comprends aisément. Au début, ils ne demandaient pas de comptes, plutôt ravis d’abriter une sous division plus « expérimentale », mais devant des chiffres de vente parfois décevants ils ont commencé à demander des groupes un peu plus rentables, plus catégorisables. C’est à ce moment-là qu’il m’est apparu plus sage de tout stopper et eux n’ont logiquement pas insisté. Les groupes sur Appease Me ne sont pas tous calibrés pour vendre 10.000 copies par album et ont plus leur place sur une structure plus underground pouvant supporter des chiffres beaucoup plus modestes. Si Candlelight vend 2.000 exemplaires d’une prod c’est une catastrophe, pour Appease Me c’est un joli score.
Cela n’a absolument pas affecté les relations qui existent entre Candlelight et Blut Aus Nord, la séparation des deux labels était juste quelque chose de parfaitement logique finalement.

Pour finir, tu viens de sortir le surprenant nouvel album d’Overmars, Born Again, sur Appease Me. J’aimerais avoir l’avis du label.
J’ai été très surpris quand j’ai écouté Born Again pour la première fois, le groupe a considérablement évolué et semble avoir digéré puis balayé toutes ses influences. Ils ont désormais un son à eux et un style qui n’appartient également qu’à eux. Ce groupe a une très grosse personnalité qui s’exprime de façon très puissante sur cet album. Born Again est très intense, c’est beaucoup plus sombre que ce qu’Overmars a pu enregistrer avant et la voix de Marion m’a véritablement impressionné. Comme je l’ai dit à Xavier, je suis très fier de sortir cet album, j’ai l’impression de participer à l’éclosion et au développement d’un grand groupe. Je viens également de recevoir une version rough-mix du prochain Monolithe, M III, qui est absolument dantesque, ce groupe emmène le doom dans une autre dimension.

BLUT AUS NORD – Odinist, The Destruction Of Reason By Illumination (Appease Me/Candlelight Records)

www.blutausnord.com
www.appease-me.com

Francoise Massacre
Publié dans: NOISE MAG #4 (janvier 2008)
couv NOISE MAG#4

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