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INTERVIEW – JOE PRESTON: Le monde selon Joe

19 Jan

Ça faisait longtemps que je rêvais de choper Joe Preston dans un coin. Alors, profitant honteusement de la venue d’High On Fire à Paris en ce frisquet début de mois de décembre, j’ai pu assouvir cet inavouable fantasme, attirant l’homme au pédigree suprême (Melvins, Earth, High On Fire, Sunn O))), Witchypoo, The Whip, Men’s Recovery Project et j’en passe) sur un coin de table au Batofar, et de le soumettre à un questionnaire revisitant les hauts, les bas et les plats de son passé de musicien infidèle et boulimique. Retour parfois douloureux ou amer sur quelques-uns des innombrables groupes, connus ou méconnus, dans lesquels l’immense Joe Preston (Salty Green pour les intimes) s’est illustré depuis plus d’une quinzaine d’années.

THE WHIP

Les Whip, c’était moi, Jared et Scott de Karp. J’ai joué de la guitare avec eux pendant à peu près un an. Scott est mort dans un accident bizarre il y a un an et demi et Jared fait maintenant partie de Big Business. En janvier, nous allons faire quelques dates ensemble aux États-Unis avec High On Fire.

WITCHYPOO

Le principal membre de Witchypoo était Slim Moon, le fondateur du label Kill Rock Stars. Mais des dizaines et des dizaines de personnes ont fait partie de ce groupe. J’y suis resté un petit moment. Nous sommes partis deux ou trois fois en tournée sur la côte Ouest, après quoi nous avons fait une tournée Thrones/Witchypoo, vers 1994, 1995. C’était la toute première fois que je faisais une vraie tournée avec Thrones à travers les États-Unis.
En quelle année le groupe a-t-il splitté?
Je crois qu’il n’y a jamais vraiment eu de split officiel. Notre dernière tournée a eu lieu aux alentours de 2000.
Tu étais à la basse?
Je jouais surtout de la guitare, et puis des synthés, de la boîte à rythme. Tout ce dont on avait besoin, tout ce qu’on pouvait utiliser.
À quoi ressemblait votre musique?
C’est difficile à dire. C’est un groupe qui se réinventait en permanence. C’est vite devenu très improvisé du début à la fin. Les morceaux n’avaient pas vraiment de structures prédéterminées, on ne répétait pas vraiment. Sur scène aussi on improvisait totalement. On nous proposait une date, et on y allait. Mais la première incarnation du groupe était vraiment géniale. On jouait beaucoup dans des soirées à Olympia, là où je vis.

MEN’S RECOVERY PROJECT

On a enregistré deux albums ensemble. J’ai aussi fait quelques tournées avec eux au Japon et aux États-Unis. Ils m’ont demandé de les aider et j’ai accepté, mais c’était avant tout leur groupe (Ndlr : Neil Burke et Sam Mc Pheeters, ex-membres de Born Against). La dernière fois que j‘ai joué avec eux, c’était juste avant que je parte vivre à Olympia vers 1996. On s’est retrouvé en 2000 lors d’une tournée assez longue Thrones/MRP. En plein milieu, je me suis mis à paniquer. J’ai pété un plomb et je leur ai vraiment fait un mauvais trip. À ce moment-là, ça faisait à peu près quatre mois que je tournais non-stop et j’en avais plein le cul. Après ça évidemment, nous n’étions plus en très bon terme. Mais aujourd’hui ça va beaucoup mieux (rires).

EARTH

J’ai fait partie de Earth de 1989 à 1991, au moment où j’ai rejoint les Melvins. Quand j’ai commencé à jouer dans Earth, nous étions trois. Il y avait Dylan (Ndlr: Carlson) et Slim de Witchypoo au chant. Ils habitaient à Olympia, et moi dans l’Oregon, à quatre heures de là. J’étais fauché, je n’avais pas de voiture, et on arrivait difficilement à se voir pour répéter. On jouait le week-end de temps en temps et on s’enregistrait. Et puis, je rentrais chez moi. On a fait notre premier concert en aveugle, sans vraiment être prêts. Mais malgré tout, ça fonctionnait. Ce concert était génial. En sortant de scène on s’est dit: «Wow! C’était incroyable, ça va marcher!». Mais les concerts d’après furent catastrophiques. J’aimais jouer avec Earth à cette époque.
Dylan Carlson me disait que Earth était un passe-temps pour toi, et que ton vrai rêve à l’époque, c’était de faire partie des Melvins. J’imagine qu’il plaisantait à moitié…
C’est bizarre… (son regard s’assombrit) Tu sais, Dylan a dit beaucoup de choses pas très belles à mon sujet. Pendant un moment, il y a eu beaucoup d’animosité entre nous. Je ne sais pas ce qu’il pense de moi aujourd’hui. Peut-être qu’il plaisantait en disant ça… En tout cas, il a beaucoup changé. Les drogues ont été un gros problème dans ma vie, autant sur le plan personnel que dans mes relations avec les autres. Et ce fut un grand sujet de discorde entre lui et moi. Le fric et la drogue sont les deux grands problèmes de ma vie. Toutefois, j‘ai lu une interview récente de Dylan et il m’a paru différent, comme le Dylan que j‘avais connu. C’est sans doute le mec le plus intelligent que j’ai rencontré dans ma vie.
Son interprétation des bouquins de Cormac Mc Carthy est passionnante.
C’est marrant parce qu’indépendamment de lui, je suis passionné par les livres de Cormac Mac Carthy depuis des années. C’est de là que je viens.
Est-ce que tu as écouté leur nouvel album, Hex?
Non, ça fait des années que je n’ai pas écouté quoi que ce soit de Earth.

MELVINS

Tu as donc quitté Earth pour rejoindre les Melvins.
Encore une histoire qui s’est mal terminée.
Tu sais, si tu ne souhaites pas en parler…
Non, ça va. Je peux en parler tranquillement aujourd’hui, ce que je ne pouvais pas faire il y a quelques années. Je crois avoir fait un gros travail sur moi-même et aujourd’hui toute cette haine n’a plus vraiment de sens. Je n’ai plus de temps à perdre avec ça, c’est trop épuisant.
Tu t’amusais au début?
Oui, et c’est pour ça que j’ai tenu quelques temps. Tu sais, je les idolâtrais vraiment.
Peut-être que c’était justement ça le problème ?
Oui, c’était clairement une partie du problème. Quand je les ai rejoints, j’ai réalisé que les choses n’étaient pas vraiment comme je les avais imaginées. Je crois que j’ai été très… (long silence) déçu. Cependant, jouer avec eux était extraordinaire. Je me sentais libre. Être dans un groupe dans lequel tu peux absolument tout jouer du moment que tu aimes ça, c’est formidable. Même si personnellement, je n’ai jamais eu l’impression de faire partie du groupe, contrairement à ce qu’ils me disaient. Les Melvins, c’est le groupe de Buzz, un point c’est tout. C’est lui qui décide.
Comment expliques-tu la malédiction qui frappe les bassistes successifs des Melvins?
Je crois que c’est différent pour chaque personne. J’ai entendu beaucoup d’histoires là-dessus parce que j’ai pas mal d’amis qui les connaissent bien et qui me racontent ce qui se passe, que ça me plaise ou non (rires)! Pour ma part, je suis assez étonné qu’ils aient conservé autant d’animosité à mon égard compte-tenu de toutes les embrouilles qu’ils ont eu avec les autres bassistes qui m’ont succédés. À ce titre là, j’ai l’impression d’avoir été une sorte de bouc-émissaire. Mais aujourd’hui, je m’en fous. C’est leur problème.

THRONES (projet solo)

Au départ, Thrones était un projet réactionnaire. Je composais des morceaux, et je les jouais avec un batteur, mais ça ne fonctionnait pas vraiment. On n’avait pas la même vision des choses. Et surtout, je détestais qu’on me dise comment je devais les jouer. Alors j’ai décidé d’utiliser une boîte à rythmes, et c’était exactement ce qu’il me fallait. C’était un moment de ma vie où j’étais vraiment très isolé et j’avais besoin d’être indépendant musicalement. C’est pourquoi j’ai choisi de tout faire par moi-même. J’avais quitté les Melvins en 1992 et pendant l’année qui a suivi, je n’ai pas fait quoi que soit, à part un concert pour Halloween organisé par des amis à moi.
Certaines de tes programmations de boîtes à rythmes sonnent comme de vraies batteries…
En fait, je n’ai enregistré qu’un ou deux morceaux avec un vrai batteur, mais ces démos ne sont jamais sorties. Personne ne les a entendues et franchement, ça n’est pas plus mal! Programmer des rythmes est quelque chose que j‘aime vraiment faire, et je crois que je me débrouille plutôt bien pour ça. Malheureusement en ce moment, je n’ai plus d’endroit à moi, ni de temps et je ne compose pratiquement plus. C’est un gros problème pour moi.
À quel moment as-tu décidé de sortir la compilation de Thrones Day Late, Dollar Short?
Ça faisait pas mal de temps que des gens dans mon entourage me parlaient de ça, mais c’est au moment où j’ai tourné pour la première fois avec Sunn O))) en Europe, il y a quelques années, que l’idée a vraiment pris forme. Stephen me disait (en imitant sa voix) : «Tu devrais vraiment faire quelque chose avec tous ces morceaux!». Et puis je crois que de son côté, Greg de Southern Lord voulait vraiment me pousser, me donner une chance sur son label.
Je me suis fait la réflexion que ce que tu faisais avec Thrones avait beaucoup de choses en commun avec la musique de John Carpenter…
J‘adore ce qu’il fait. Je le prends comme un compliment.
Tu n’as jamais pensé à composer pour le cinéma?
J’ai toujours voulu faire des musiques de film. J’ai eu deux ou trois opportunités. Comme je n’ai pas beaucoup de temps, ça ne s’est jamais vraiment matérialisé, mais j’aimerais vraiment le faire. J’ignore si j’y arriverai parce que je suis très paresseux. Les deadlines me tuent!
Tu disais que tu n’avais plus le temps de travailler sur de nouveaux morceaux?
En fait, depuis un an, je n’ai pas vraiment d’endroit où vivre, de chez-moi. Et avec les nombreuses tournées de High On Fire, je n’ai plus beaucoup de temps. A chaque fois que je vais partir en tournée, je me mets à flipper et je me dis : «Allez, écris quelque chose, un nouveau morceau avant de partir!», mais ça n’arrive jamais. J’ai quand même écrit un nombre respectable de nouveaux morceaux qu’il faut que je termine. J’ai presque un set complet, du moins, si j’arrive à le finir. Je suis assez excité à cette idée. Mais j’ai commencé à déménager à Los Angeles, et je n’habite vraiment nulle-part en ce moment. Toutes mes affaires sont au garde-meuble. En rentrant de tournée, je récupère mon chat à Washington, et je pars habiter à L.A. J’attends donc d’être dans une situation plus stable et de pouvoir me relaxer pour recommencer à travailler.

SUNN O)))

J’ai enregistré deux albums avec eux (Ndlr : la série des White1 et White2). Nous avons aussi tourné en Europe ensemble et un peu aux States. Ce qui est dingue avec Sunn, c’est de voir que tout le monde les prend tellement au sérieux! Moi qui les connais, je peux te dire qu’ils sont toujours en train de se marrer (simulant une énorme rire gras) : «Huhu haha huhuh». Ils aiment s’amuser et c’est ce que j’aime chez eux. Quand ils font des concerts, ils sont toujours enthousiastes, ils essayent toujours de jouer avec les gens qu’ils trouvent intéressants. Ils aiment se payer du bon temps et ils ont un grand sens de l’humour.

LOUDMACHINE 0.5

C’est un groupe japonais. En fait, c’est le gars qui s’occupait entre autres de la distribution pour Kill Rock Stars au Japon qui avait monté Loud Machine. Le groupe jouait déjà sous d’autres noms depuis les années 80. La première fois que j’ai joué avec eux, c’était au festival Yoyo-A-Gogo à Olympia (Ndlr : en 1999). Après, j’ai fait quelques dates avec eux au Japon à la basse. En échange, ils vendaient les disques de Thrones au Japon. C’était plutôt marrant.

THE NEED

J’ai joué avec eux trois ou quatre fois. La première fois, c’était vers 1995. On n’avait encore rien enregistré, on ne faisait que jammer de temps à autres. Et puis, peu de temps après, on a tous déménagé à Olympia bizarrement, et c’est à ce moment-là qu’on a vraiment commencé à jouer ensemble. J’ai enregistré un 10’’ avec eux vers 1998, 1999. En 2001, nous avons fait notre dernière tournée ensemble aux États-Unis. Aujourd’hui, le groupe a splitté mais je suis toujours ami avec Rachel Carns, la batteuse qui joue maintenant avec King Cobra. Ça ressemble beaucoup à The Need. Sa façon de jouer et de chanter est très reconnaissable.

Pour finir, as-tu des regrets ?

Je ne sais pas. Je me suis senti bizarre quand j’ai quitté Earth parce que c’était le tout premier groupe dont j’avais l’impression de faire vraiment partie. Quoi qu’on en dise, on était sur la même longueur d’onde musicale Dylan et moi. J’aimais sa vision très conceptuelle des choses. J’étais très excité de jouer cette musique un peu étrange. C’était toujours un défi avec lui. J’ai eu des regrets, mais aujourd’hui avec du recul, je n’en ai plus. Il y a eu des raisons à tous ces mouvements. Beaucoup de gens pensent que quelque chose cloche chez moi, et me reprochent d’avoir joué dans tant de groupes différents.
On peut aussi voir dans tous ces changements l’expression d’une certaine ouverture d’esprit.
Oui, je trouve ça plutôt cool en définitive. Mais j’ai eu des problèmes à cause de ça sur le moment. J’aime jouer avec des personnes différentes parce que ça t’ouvre sur des mondes différents. Les gens voudraient que tu fasses toujours la même chose, toujours le même morceau pendant dix ans, et je suis bien content de ne pas en être arrivé là. Alors non, pas de regrets.
Francoise Massacre
Publié dans: VERSUS MAG #6 (Janvier 2006)
couv VERSUS MAG #6